2023-24/21 La Méthode Borda, en français
Thursday, October 19, 2023
Deborda

LA MÉTHODE BORDA

 

Au 18e siècle, la France était à la veille d´un grand bouleversement.  Le vote binaire était utilisé et abusé à l'Assemblée des notables forte de 140 membres.  En effet, en 1788, le ministre de Louis XVI, M. Calonne n'avait le soutien que d'une minorité de 44 d'entre eux (que nous appellerons les Bleus; la majorité - les 96-seront les Rouges).  Il divisa les 140 en 7 comités de 20.  Dans 3 d'entre eux, tous les membres étaient rouges.  Les 4 autres comités étaient mixtes, 9 rouges et 11 bleus.  Au total, les Rouges étaient au nombre de 3x20 + 4x9=96 et les Bleus 4x11=44.  Les 7 comités prirent leurs décisions par vote majoritaire et la décision finale fut prise par une majorité des 7 présidents de comité, les Bleus gagnèrent par 4 voix contre 3.

Pendant ce temps, l'Académie des Sciences se tournait outre Manche vers Westminster, l'unique démocratie à l'époque et s'exclama "Mon Dieu,c'est incroyable " car il est impossible de trouver la volonté générale dans un vote binaire.  La réponse à la question, "Êtes vous de droite ou de gauche?” se solde par une division plutôt qu'un consensus.  Ainsi Jean-Charles de Borda et le Marquis de Condorcet inventèrent deux formes de vote préférentiel.

Dans un scrutin de 5 options – A, B, C, D et E – les électeurs rangent les options par ordre de préférence.

La règle de Borda est basée sur un système de points:

L’option classée première = 5 points

L’option classée seconde = 4 points etc

Le gagnant sera celui qui aura le plus grand nombre de points.

La règle de Condorcet range les options par paires.

Si l’option A est plus populaire que l’option B, nous écrirons  A > B.  

Est-ce que A > B, A > C, D > E ? etc

10 paires au total pour trouver l'option, s’il y en a une, qui a gagné contre toutes les autres. Cette option est appelée «gagnant de Condorcet ».  Sinon, on considère le nombre de fois où une option bat les autres options et on choisit l’option qui gagne le plus souvent (comme dans les championnats de sport).

Les deux systèmes sont justes et peuvent être comparés aux règles d'un match de rugby.

Le champion - le gagnant chez Condorcet - est l'équipe qui gagne le plus de matchs (de paires) tandis que le choix social de Borda est l'équipe qui a le plus de points (ou d'essais).

Dans bien des cas, le gagnant de Condorcet est aussi celui de Borda mais pas toujours.

En revanche, le vote binaire ressemblerait plutôt à un tournoi par KO avec une grande dépendance aux nul.  Personne ne souhaite une Coupe du Monde entre l'Irlande et la France qui se solderait par un KO dans la 1ere étape....en finale, peut-être.

L'académie adopta le système de Borda et cela fonctionna raisonnablement bien.

Dans un scrutin à n options, selon Borda, l’ électeur peut ranger  m options, 

n > m > 1

et les points seront attribués pour sa  préférence en attribuant m points à l’option classée première, m-1 points à l’option classée seconde etc…que nous notons

(m, m-1...1)

Tout va bien si tout le monde donne une liste complète (avec une préférence sur les 5 options) et le système de Borda a été créé, selon lui, pour des électeurs “honnêtes.”  Malheureusement la règle s'est vue transformée en 

(n, n-1 ...l)

ou encore en 

(n-1, n-2...0). 

Et pire que cela, la règle n a été appelée le Comptage de Borda (BC) alors que Jean-Charles de Borda avait opté pour la règle m que l'on appelle maintenant le Comptage de Borda Modifié (MBC).

La règle n encourage les électeurs à tronquer leur scrutin alors que la règle m encourage mais ne force pas ces derniers à émettre toutes leurs préférences...leurs options de compromis.

Si tout le monde vote ainsi, le compromis collectif peut être identifié.  Voilà ce que devrait être la politique.

Cependant, rien n'est parfait.  Que se passe-t-il en rugby si la France bat l' Écosse, l' Écosse bat l'Irlande et l'Irlande bat la France?

Ou dans un scrutin si A > B, si B > C et C > A?

Condorcet lui-même a reconnu ce problème en 1793.  La règle de Condorcet est vulnérable en ce qui concerne le paradoxe des votes binaires A > B > C > A > B… et cela sans fin.

 

Préférences           Ms i                 Ms j               Ms k

1ere                          A                    B                  C

2er                            B                    C                  A

3er                            C                    A                  B

 

Dans une analyse BC de ce tableau, les 3 options totalisent 6 points.  Mais que se passe-t-il si une autre équipe, option D, les Kiwis, s'ajoute à la mêlée?  Si la Nouvelle Zélande est battue par l'Irlande, si C > D ,l’option D pourrait être considérée comme une option non pertinente, selon le jargon.

Cependant, si D joue et est inséré dans le tableau après C, le résultat Borda est C 9,B 8, A 7 et D 6.

Voilà qu'un ex æquo entre les 3 premiers devient une victoire pour l'un d'eux.

 

Préférences.                  Ms i                Ms j             Ms k

1ere                                    A                    B                    C

2er                                      B                    C                     D

3er                                      C                    D                     A

4er                                      D                    A                     B

 

C'est ainsi que certains analystes pensent que les parlements devraient utiliser les deux systèmes conjointement.

Le système de Condorcet ne souffre jamais d' option non pertinente et le paradoxe ne rend pas le système de Borda vulnérable.  Si les gagnants de Borda et de Condorcet coïncident ,le résultat est garanti à 99%.

Malheureusement, puisque rien n'est parfait, les politiciens continueront d'utiliser le système le plus imparfait vieux de 2500 ans qu'est le vote binaire.

Prenons l'exemple de la France.  La Révolution aurait donner être au pouvoir aux citoyens. Hélas le vote majoritaire a été retenu par Napoléon, ce qui lui permettait de tout contrôler car lui seul choisirait les options.  Il se choisit lui-même et c'est ainsi qu'en 1803 il devint empereur avec 99,7% des voix au 3e référendum  binaire.  Un dictateur  démocratique, pourrait-on dire.  Ainsi, tel que je l'ai suggéré  durant ma conférence à  Coutances en 2006, devrions-nous rebaptiser le système de vote majoritaire et l'appeler le système napoléonien ?

 

Peter Emerson

L’Institut de Borda

Belfast, Irelande du Nord

+44-7837717979

www.deborda.org

 

 

 

Article originally appeared on After Jean-Charles de Borda, 1733-99 (http://www.deborda.org/).
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